Des jeunes méditerranéens engagés pour une industrie de la mode plus verte et plus sociale

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Tout le monde a entendu parler de l'effondrement du Rana Plaza au Bangladesh le 24 avril 2013, au cours duquel plus de 1 000 personnes sont mortes et plus de 2 500 ont été blessées. Cette tragédie a secoué le monde, et ce fut probablement un tournant vers une plus grande prise de conscience du revers de l'industrie de la mode. Lorsque nous évoquons le mot « durabilité », nous ne devons pas seulement penser à l'environnement mais aussi à son aspect social, non seulement la responsabilité des consommateurs mais aussi celle des producteurs.

Dans le cadre de la campagne #TheGreenTrack de l'Union européenne et de l'Année européenne de la jeunesse, le Programme IEV CTF Med a organisé un événement en ligne le 18 mai 2022 auquel ont participé plus de 100 personnes. Cet événement a été conçu comme une plate-forme pour présenter des initiatives et des actions d'un large éventail d'acteurs - jeunes créateurs méditerranéens, militants, industrie de la mode et la Commission européenne - réunissant différents points de vue en un seul événement.

Avant de résumer les principales idées et initiatives qui ont été présentées, rappelons quelques concepts clés. Qu'est-ce que la mode express (fast fashion) ? Quelle est la différence entre l'upcycling et le recyclage dans le secteur du textile ? Nous avons commencé notre événement par un quiz pour en savoir plus sur le bilan environnemental de cette industrie très polluante. La fast fashion en est son principal symbole. Elle consiste à changer les tendances en continu de manière à ce que les consommateurs n'arrêtent pas d'acheter. Cela conduit à produire d'énormes quantités de vêtements de mauvaise qualité et à faible coût qui, dans la plupart des cas, finissent brûlés ou dans des décharges.




Que peut-on faire face à cette situation ? L'upcycling est une option qui consiste à réutiliser de vieux vêtements et à les transformer en de nouveaux produits. Alors que recycler le textile signifie récupérer la fibre, le fil ou le tissu et reutiliser la matière textile en produits utiles.

Vers une mode plus respectueuse de l'environnement : l'industrie se mobilise
Silvia Airaghi, qui travaille pour la marque de luxe italienne 'Salvatore Ferragamo', a expliqué que le groupe avait commencé son engagement vers le développement durable en 2014. Au début, ils l'ont abordé sous l'angle de la gestion des risques, en veillant au respect des lois et réglementations et en tant qu´avantage compétitif. Ensuite, ils ont décidé de se concentrer davantage sur les produits et sur les personnes.

En 2019, le Fashion Pact a été créé, une coalition de plus de 250 marques qui ont signé un engagement collectif pour réduire leur impact environnemental en s'attaquant à 3 piliers : le climat, les océans et la biodiversité. Sachant que ces marques représentent un tiers de l'industrie mondiale de la mode (y compris les marques de fast fashion, de sportwear, de luxe, etc.), Silvia Airaghi a confirmé que travailler ensemble a bien plus d'avantages que de se mettre en compétition.

“Les actions conjointes sont bien plus puissantes que les actions individuelles et le Fashion Pact en est un bon exemple”

Jeunes créateurs méditerranéens œuvrant pour une mode plus durable : coup de projecteur sur leurs initiatives

Hadeer Shalaby, co-fondatrice de Green Fashion Egypt, a présenté son entreprise sociale qui a débuté en 2018. Avec son équipe, ils se concentrent sur la réutilisation des chutes des usines textiles et les transforment en nouveaux vêtements à la mode tout en soutenant des femmes en situation vulnérable. Jusqu'à présent, l´équipe a soutenu une cinquantaine de femmes en leur offrant un emploi dans un environnement sûr. Elle a également introduit d'autres aspects tels que l'utilisation de teintes et de fibres biodégradables.



Capture d´écran de Green Fashion Egypt, compte Instagram


Mejda Khaled est la jeune tunisienne à l'origine d'Agaruw ("océan" en langue amazighe), un commerce en ligne où son équipe transforme les déchets en produits de mode éco-responsables. Elle travaille principalement sur la personnalisation des produits et sur le recyclage des déchets plastiques en utilisant de nouvelles technologies comme l'impression 3D. Elle a également créé le « Mawj Lab » (« Mawj » signifie vague en arabe) pour soutenir des artistes, artisans et designers. Au début, les consommatrices n'étaient pas convaincues à 100% par les vêtements upcyclés et recyclés mais maintenant elle remarque quelques changements dans leurs habitudes et certaines d'entre elles apportent même leurs vieux vêtements pour les recylcer et s'engage davantage dans le domaine de la mode durable.


Capture d´écran d´ Agaruw, compte Instagram

Vérabuccia: transformer l'écorce d'ananas en sacs à la mode 

En 2017, Francesca Nori s'est rendue compte que 50 % de l'ananas était gaspillé et s'est dit : pourquoi ne pas transformer les écorces de fruits en un produit naturel pouvant être transformé en sac ou autres accessoires pour l'industrie de la mode ? Elle a breveté l'idée en Italie et déposé la marque "Vérabuccia" ("vraie peau" en italien) en 2020. Maintenant, elle développe le prototype et commencent à le commercialiser. Avec le co-fondateur, Fabrizio Moiani, ils veulent vraiment faire connaître leur produit et promouvoir un matériau naturel et sans cruauté car le toucher ressemble à du cuir de reptile mais est totalement naturel et respectueux de l'environnement.


Capture d´écran de Vérabuccia, compte Instagram

Feyrouz Hatoum et Céline Majdalany sont deux jeunes libanaises qui travaillent pour La Boutique Sociale, une entreprise sociale développée par l'ONG "arcenciel" en 2002. À travers cette boutique, les vêtements d'occasion sont valorisés, recyclés et vendus à un prix symbolique. Cela rend l'achat accessible à tous, en particulier à ceux qui en ont besoin. De plus, elles offrent des formations de couture aux femmes pour les rendre plus autonomes. Elles ont des points de collecte dans tout le Liban et prévoient d'étendre leur travail en créant des magasins éphémères et une boutique en ligne pour toucher plus de personnes. Elles aimeraient aussi commencer à recycler les vêtements. Au-delà de l'aspect social, elles souhaitent également sensibiliser à la valeur des vêtements d´ocasion et tenter de réduire le gaspillage vestimentaire.

La campagne "qui a fait mes vêtements": focus sur les travailleurs de l'industrie de la mode

Rania Rafie, coordinatrice de Fashion Revolution en Egypte, a expliqué ce que fait ce mouvement pour sensibiliser les consommateurs, les faire changer d´habitudes, les informer sur les droits des citoyens et les conditions de sécurité des travailleurs de l'industrie textile. Elle a également parlé de certaines activités organisées pour diffuser le concept de mode durable à travers des webinaires dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) et d´autres activités pour soutenir des créateurs locaux.

Développer une mode méditerranéenne

Luz Villalta, de la Confédération espagnole de l'industrie textile (Texfor), a travaillé avec d'autres partenaires du projet TEX-MED ALLIANCES sur des concepts qui caractérisent l'identité méditerranéenne tels que l'importance de l'artisanat, des traditions, de la simplicité et a développé une marque et une plateforme où toute marque, enseigne, designer méditerranéen du secteur textile peuvent adhérer en respectant une série de valeurs et de principes repris dans leur Manifeste. C'est ainsi que THEMEDNEW est né. Parmi les principes sur lesquels les membres doivent adhérer figurent l'hospitalité et la solidarité, la créativité inclusive, l´humanisme, la justice sociale et la durabilité.

Au-delà de la forte composante environnementale et sociale de cette initiative, elle offre également des avantages majeurs aux créateurs et designers : opportunités de mise en réseau, promotion de leurs produits et accompagnement d'experts du secteur.



Capture d´écran du site web THEMEDNEW 

Nous avons eu la chance d'écouter le témoignage d'une des jeunes créatrices espagnoles qui fait partie de THEMEDNEW : Julia García Escribà. En pensant au climat méditerranéen, elle développe des vêtements qui s'adaptent au changement de température du corps afin de ne pas avoir besoin de plusieurs couches de vêtements. Ceci est basé sur une technologie appelée «Phase Change Material» utilisée par les astronautes de la NASA. Elle plaide également pour des vêtements non genré afin de réduire les déchets textiles.

Fournir des éco-solutions pour réduire l'impact environnemental du textile

María del Mar Blanes, ingénieure de l'Institut de recherche et textile d'Espagne (AITEX), a présenté l'un des éco-laboratoires développés dans le cadre du projet CRE@CTIVE. Cet éco-laboratoire situé à Alcoy, en Espagne, offre l'accès aux nouvelles technologies aux artistes et aux PME pour les aider à réduire leur impact environnemental, notamment dans la phase de finition de la production du cuir et des textiles. Elle a expliqué certaines des techniques utilisées dans les machines disponibles : la machine de micro nébulisation pour la teinture et la finition, la machine de découpe laser, la machine de finition à l'ozone, les systèmes d'enduction et de pulvérisation au couteau... La plupart de ces machines ne nécessitent pas d'eau ou de produits chimiques avec d'importantes économies sur l'utilisation des ressources naturelles.


La Commission européenne promeut « la mode rapide est démodé »

Paola Migliorini, chef d'unité adjointe à la direction générale de l'environnement de la Commission européenne, a présenté la stratégie de l'UE pour des textiles durables et circulaires (publiée le 30 mars 2022). Parmi les principaux points forts de cette stratégie figurent les exigences de conception pour les textiles dans le cadre du règlement sur l'éco-conception pour des produits durables, la lutte contre les microplastiques issus de textiles synthétiques, des informations plus claires sur les textiles grâce au passeport numérique sur chaque produit, la lutte contre l'écoblanchiment et la proposition d'une responsabilité élargie des producteurs. Au cours du second semestre 2022, la Commission européenne lancera la campagne #RefashionNow axée spécifiquement sur la question de la fast fashion. Elle a invité tous les participants et intervenants à partager leurs initiatives au sein de la plateforme européenne pour l'économie circulaire.

Sensibilisation, coopération et utilisation des nouvelles technologies : quelques ingrédients pour une industrie de la mode plus verte

Les échanges ont démontré que quel que soit le type d'acteur de l'industrie de la mode, ce dont nous avons besoin, c'est d'une plus grande prise de conscience de l'impact négatif du secteur textile sur la vie des gens et sur la planète. Coopérer davantage et utiliser les technologies disponibles peuvent être des outils importants pour rendre l'industrie de la mode plus durable. L'événement s'est clôturé par un sondage qui a montré que 97 % des participants ont déclaré qu'ils sont maintenant plus conscients de l'impact environnemental des industries de la mode et de l'habillement grâce à l'événement. Et 90 % d'entre eux accorderont plus d'attention aux aspects environnementaux et de durabilité avant d'acheter des vêtements.

Nous tenons à remercier tous les intervenants pour leur précieuse contribution et la Direction générale de l'environnement de la Commission européenne pour avoir sélectionné cet événement dans le cadre de la campagne #TheGreenTrack.

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