Les ‘Elles’ du BTP et de la construction : Roua et Oumaya, deux femmes méditerranéennes engagées pour une transition écologique du secteur

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A l´occasion de la journée internationale des femmes, le programme IEV CTF MED a pris le temps d´échanger avec deux femmes impliquées dans le projet RE-MED .Ce dernier vise notamment à mettre en place une filière permettant de transformer les déchets de construction et de démolition en ressources pour la construction et l’entretien des routes. Bien que les secteurs routiers et du BTP soient largement dominés par les hommes, deux femmes s’y sont fait une place.

Roua Zarrouk est ingénieure en génie civil en Tunisie. Elle est cheffe de services des chaussées au Centre d’Essais et des Techniques de la Construction (CETEC) et à la tête de la section « mécanique des chaussées ». Oumaya Marzouk a un profil de chercheur et travaille en France. Après des études universitaires de chimie en Tunisie, elle a poursuivi ses études en France. Elle est actuellement directrice de projet en économie circulaire au Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) et a été reconnue en tant qu’experte nationale par l´Etat français dans le domaine du recyclage dans les infrastructures routières.

Toutes deux ont des parcours brillants. Elles ont le soutien de leur famille et ont eu la chance de pouvoir accéder à des postes intéressants dans un secteur largement masculin, non sans embûches et avec fierté et satisfaction.

Les défis : un moteur ou un frein pour arriver là où elles sont ?

On part du constat que la plupart des femmes qui ont grandi ou qui vivent au sud de la Méditerranée, ont intériorisé le fait qu´il faut faire deux à trois fois plus que les hommes pour être reconnues et acceptées dans certains milieux professionnels. Triste réalité mais une réalité quand même.

Mme Markzouk et Mlle Zarrouk partagent plusieurs anecdotes qu´elles ont vécu.

Lors d´un entretien d´embauche quand elle s´entend dire, après avoir parfaitement répondu à toutes les questions techniques et psychotechniques : mais tu es une femme, tu ne vas pas aller travailler au sud de la Tunisie ! Ou quand un futur collègue refuse d´être chapeauter par une femme.

Lorsqu´un collègue vous dit : allez prendre un balai, vous faites quoi ici ou quand un professeur d´université s´étonne que son étudiante veuille poursuivre ses études et entamer un doctorat, en ayant l´air de dire : vous n’en serez pas capable, elles  peuvent soit baisser les bras soit être « boostées » par ce genre de défis et démontrer qu´elles en sont parfaitement capable.

Toujours aller plus loin, persévérer en se bouchant les oreilles.

Il n´y a aucun doute qu´elles sont capables. Les connaissances et les compétences s´acquièrent mais il semblerait que cela ne soit pas suffisant pour faire ses preuves, être crédibles et obtenir un poste à responsabilité. Et là, peu importe si nous sommes en France ou en Tunisie car malheureusement dans ce secteur les mentalités n´évoluent pas beaucoup.

Le temps et le relationnel pour augmenter sa crédibilité 

« Avec le temps, on apprend à vous respecter pour vos compétences et votre manière de faire. On oublie que vous êtes une femme et on vous voit en tant que professionnel », estime Mlle Zarrouk. Quant à Mme Marzouk, c´est l´entente avec les personnes et développer le côté relationnel avec tous les collègues qui lui a permis d´être mieux accepté.

Être compétente n´est pas suffisant pour gagner en crédibilité.

Avoir des modèles féminins, est-ce vraiment utile ?

Dans leurs cas, ça pourrait aider mais ce n´est pas indispensable. Mlle Zarrouk a comme modèle son père. Pour Mme Marzouk, elle n´en avait pas, même si elle reconnait que l´accompagnement de sa superviseuse dans ses différentes étapes professionnelles lui ont été d´un grand soutien.

Et les lois dans tout ça ?

Afin d’accélérer la participation des femmes à la vie économique et professionnelle, la loi « Rixain » du 24 décembre 2021 en France comporte plusieurs mesures visant à une plus grande égalité entre les femmes et les hommes dans les entreprises. C’est en ce sens que son article 14 instaure une obligation de représentation équilibrée entre les femmes et les hommes dans les postes de direction des grandes entreprises.

Selon Mme Marzouk, si ce genre de lois sont perçues comme incitatif pourquoi pas. Cela dit, ces lois prouvent qu´il y a un échec dans l´évolution des mentalités. Si la société progressait naturellement vers plus de parité homme-femme, on n´en aurait pas besoin.  Disons que ces lois contribuent à accélérer le processus vers plus de parité.

Selon Mlle Zarrouk, vouloir garantir la parité à travers des lois n´est pas forcément la bonne méthode. Elle serait plus en faveur de mesures tel que les CV anonymes qu´un système de quotas.

Et la féminité dans tout ça ?

Toutes les deux sont d´accord sur le fait qu´il ne faut surtout pas essayer de ressembler à un homme pour assumer certains postes. Ce n´est pas parce qu´elles travaillent dans un secteur largement représenté par des hommes qu´elles doivent renoncer à leur féminité pour faire leurs preuves.

« Il faut agir comme des femmes et il faut nous accepter telles que nous sommes », renchérit Mlle Zarrouk.

« La génération d´avant pensait qu´il fallait s´habiller comme un homme pour être mieux respecter : pantalons et couleurs sombres. Je m´habille souvent en jupes colorées et porte des talons », précise Mme Marzouk.

Le poids de la société

Il ne faut pas sous-estimer le poids de la société surtout dans le sud de la Méditerranée. Il ne faut pas oublier que toutes les femmes n´ont pas la chance d´avoir un soutien familial (aussi bien moral que financier) et la volonté et les efforts ne suffisent pas toujours pour réussir.

Dans le cas de la Tunisie et probablement dans d´autres pays de la région, quand une famille n´a pas les moyens de subvenir à ses besoins, on retire d´abord les filles de l´école pour qu´elles aillent travailler. Dans certains milieux, la priorité de l´éducation est accordé aux garçons.

« Quand on grandit dans la capitale et qu´on se rend dans des régions plus éloignées, on se rend mieux compte des disparités, des différences. C´est comme si on avait changé de pays. C´est un choc culturel. Il y a une stratification flagrante entre le nord et le sud de la Tunisie et même entre ceux qui ont étudié à l´étranger et ceux qui sont restés sur place. Ces différences se reflètent énormément dans la manière d´aborder les relations entre les hommes et les femmes et plus tard dans l´éducation qu´on apporte aux enfants » raconte Mme Marzouk.

Pour conclure : favoriser la mixité et participer à la vie associative

Changer les mentalités est probablement l´élément le plus difficile lorsqu´on aborde le thème de l´égalité homme-femme et pour cela, l´éducation et le soutien de l´entourage est important mais pas suffisant.

Favoriser la mixité dès le plus jeune âge, dans différent cadres (école, sport, théâtre, ...) est un élément clé. Participer à la vie associative joue aussi un rôle important. Dans le cas de Mlle Zarrouk, cela a été déterminant. Grâce au bénévolat et à son implication dans une association, elle a trouvé un lieu de rencontres, d´échange, elle a découvert l´art de débattre, elle a trouvé un espace pour parler librement, avoir plus confiance en elle. L´association est devenue une deuxième famille où l´on apprend beaucoup.

Qu´y a-t-il de plus évident que d´apprendre à se connaitre et à se respecter pour se faire accepter peu importe le milieu ou le secteur dans lequel on souhaite se réaliser.